[Publication en diagenèse] Définir les paléo-environnements lorsque les sédiments manquent : analyses géochimiques in situ des ciments des discontinuités

Les roches sédimentaires sont de formidables archives de l’histoire de notre planète et des bouleversements environnementaux qu’elle a connus. Néanmoins, les géologues s’accordent à dire que les accumulations sédimentaires n’enregistrent qu’une petite partie du temps, même dans des environnements marins à fort taux de sédimentation. Les environnements sédimentaires sont souvent marqués par des périodes d’arrêt de sédimentation, à l’origine de la formation de surfaces clefs appelées  » discontinuités sédimentaires « , dont l’origine est difficile à caractériser. Comme l’annonce la revue Sedimentology dans son numéro de Février 2018 [1], une équipe composée de chercheurs de l’Université Paris-Sud et du BRGM a montré comment exploiter la puissance de la spectrométrie de masse d’ions secondaires en utilisant un instrument national de l’INSU, la microsonde ionique CAMECA 1280 localisée à Nancy, pour révéler les secrets enfermés dans les discontinuités.

Les périodes de non-sédimentation, qui peuvent parfois durer plusieurs millions d’années, aboutissent à la formation de discontinuités entre les corps sédimentaires. Il est difficile de proposer des modèles de formation de ces discontinuités car leur histoire est complexe à caractériser. Les ciments dits  » précoces « , dont la taille ne dépasse généralement pas quelques dizaines de micromètres, précipitent et participent à la genèse des discontinuités. Au-delà de leur observation au microscope, leur petite taille rend leur caractérisation chimique compliquée car les méthodes d’analyse par spectrométrie de masse après attaque acide nécessitent de prélever des quantités trop importantes de carbonate (1mg). La taille d’investigation est dans le cas de la caractérisation des discontinuités un verrou important à leur compréhension.

Pour déterminer la succession d’évènements aboutissant au développement de plusieurs discontinuités sédimentaires contenues dans des sédiments carbonatés d’âge Jurassique (environ 170 millions d’années) du Bassin de Paris, l’équipe dirigée par Simon Andrieu a analysé les rapports isotopiques en oxygène et en carbone des ciments carbonatés associés directement sur lames minces, montrant qu’ils pouvaient servir de relai pour caractériser les conditions environnementales pendant les périodes de non-sédimentation.
Les observations aux microscopes photonique, électronique et à cathodoluminescence montrent que les ciments calcitiques cristallisant dans l’espace inter-granulaire pendant la période de non-sédimentation sont diversifiés, composés de onze types différents incluant des ciments fibreux de quelques dizaines de micromètres d’épaisseurs entourant les grains, de minuscules rhomboèdres de moins de 100 micromètres, des ciments gravitaires pendant à l’extrémité des grains ou encore des ménisques.
Les analyses isotopiques réalisées sur ces ciments constituent l’aspect novateur de l’étude. Elles montrent que ces derniers cristallisent dans des environnements très variés (marin peu profonds, plage, environnements terrestres côtiers) pendant les périodes de non sédimentation. Il s’avère que les discontinuités sédimentaires enregistrent une succession de nombreux évènements, incluant des périodes d’émersion, de recouvrement par la mer, des variations des conditions oxydo-réductrices ou encore des changements de l’activité microbienne. Bien que le temps enregistré dans les discontinuités reste inconnu (pouvant aller de la dizaine d’année à plusieurs millions d’années), l’étude des phases calcitiques dites  » précoces  » permet une caractérisation précise des conditions environnementales et de la succession d’évènements ayant lieu pendant les périodes de non-sédimentation, ce qui n’était pas faisable auparavant. Cette méthodologie adoptée pour l’investigation des discontinuités ouvre de nouvelles perspectives pour remonter à l’histoire des périodes de non-sédimentation et proposer des modèles de formation des discontinuités sédimentaires.


Figure : Sédiments oolitiques observés en microscopie à cathodoluminescence (à gauche) et en lumière naturelle après coloration de la lame (à droite)

Voir en ligne : Lien vers l’article dans Sedimentology